- Author, Armand Mouko Boudombo
- Role, Journaliste -BBC Afrique
- Twitter, @AmoukoB
Dans plusieurs pays du Sahel, la saison des pluies a atteint sa vitesse de croisière, et les conséquences sont énormes sur les populations, leurs moyens de subsistance et leur mobilité, alors que les agences spécialisées annoncent des précipitations excédentaires cette année.
"Même pas de caniveaux pour drainer les eaux. Chaque année, c’est la même souffrance. Les gens doivent tirer les leçons de nos souffrances pour trouver une solution. C’est lamentable”, s’exclame Aron Madjadoum, un habitant du quatrième arrondissem*nt de Ndjamena, la capitale du Tchad.
Aron habite le quartier Ambatta, sur les berges du fleuve Chari, un cours d'eau qui constitue la frontière avec le Cameroun. C’est une zone très vulnérable aux inondations, en raison des crues du fleuve qui déborde assez rapidement en saison des pluies.
Les experts expliquent que le relief dans la zone est plat, mais légèrement incliné vers la ville, ce qui favorise l’écoulement des eaux vers la zone habitable, couplé à un sol argileux doté d’une capacité d’absorption faible, propice à des inondations.
Ce matin, Aron éprouve des difficultés à se déplacer. Une pluie de moyenne ampleur s’est abattue dans son quartier, et sur 4 kilomètres, la route qui mène à son domicile est impraticable. Il est obligé de garer sa mobylette plus loin, pour faire le trajet à pied.
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La situation est similaire dans plusieurs quartiers et villes du Tchad. Le pays fait face à une forte pluviométrie ces dernières années.
Lorsque les mois d’août et septembre pointent à l’horizon, c’est l’inquiétude chez les populations. Cette année, l’Agence Nationale de la Météorologie a annoncé une saison abondante de pluies, "malgré un démarrage tardif".
Des pluies « excédentaires » d’à peu près 45 % dans plusieurs provinces du pays, par rapport à la moyenne de la période 1991-2020, précise l’agence.
Il a suffi de quelques averses pour que les populations de la capitale tchadienne N’Djamena se retrouvent les pieds dans l’eau dans plusieurs quartiers.
Au-delà de la capitale, plusieurs autres villes et contrées du pays sont concernées, et la période inquiète particulièrement les humanitaires, qui éprouvent des difficultés à acheminer les aides aux personnes nécessiteuses.
"Les routes sablonneuses se gorgent d’eau et empêchent les véhicules d’avancer" explique un responsable des Nations Unies dans le pays, dans un contexte où les réfugiés affluent à cause de la situation tendue au Soudan voisin.
Plantes et habitations emportés
Ces deux dernières années, le Tchad a fait face à des inondations sans précédent. En 2022, quelques 1,3 millions de personnes dans 18 provinces sur les 23 que compte le pays ont été touchées par les inondations, selon la Banque Mondiale, dont plus de 350 mille ont été obligées de quitter leurs foyers, selon les Nations unies.
Quelque un million d’hectares ont été inondés, parmi ceux-ci, 465 000 hectares de champs, soit l’équivalent d’environ 1,150 millions de terrains de football ont été détruits, et plus de 19 000 têtes de bétail emportées.
Un an plus tard, la FAO a observé une légère baisse dans les surfaces cultivables inondées, passant de 465 000 hectares en 2022 à 35 1000 hectares l’année suivante.
Alors que la saison des pluies démarre au Tchad, elle entame le mois le plus prolifique au Niger voisin. Selon le dernier pointage des autorités rendu public le 9 aout, au moins 95 personnes ont été tuées suite à des averses dans plusieurs régions du pays, dont la grande majorité par noyade.
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Le 15 aout, l’Agence de presse nigérienne a rapporté le décès d’au moins 54 personnes supplémentaires, emportées par les eaux, alors qu’elles étaient à bord de deux véhicules de transport en commun.
Comme le Tchad, le Niger fait face à des dégâts sans précédent ces deux dernières années. En 2022, 195 personnes ont perdu la vie, contre 59 l’année d’après.
« Le plus étonnant, c’est que ce sont les zones qui avant ne recevaient pas abondamment de pluie, qui en reçoivent maintenant jusqu’à enregistrer des inondations. Les régions inondables dites région du fleuve (Niamey, Dosso et Tillabery) n'ont pas enregistré des cas d'inondations », explique Mariama Soumana, notre correspondante à Niamey.
Depuis le début de la saison des pluies cette année, la région de Tahoua, dans le nord-ouest, est en tête des régions les plus touchées dans le pays, après qu’un fleuve a emporté deux voitures de transport public, 54 personnes les 12 et 13 aout. Elle est suivie par celle de Maradi, dans le sud du pays.
Cette région frontalière à l’État du Borno dans le Nord du Nigéria a, à elle seule, déjà enregistré 14 décès et sinistré 256 ménages, selon la Direction générale de la protection civile du Niger.
Situé au sud de Maradi, l’État du Borno au Nigeria, avec ceux voisins de Yobe et de l’Adamawa, font régulièrement les frais des inondations.
Selon une dernière alerte de Ocha publiée le 1er aout, l’État du Borno enregistre déjà les premiers dégâts des inondations de l’année, avec près de 1000 ménages déjà impactés dans le camp de déplacés de Mafa.
Le Borno, l’Adamawa et la Yobe ont le plus fait les frais des inondations en 2022, selon l’Unicef, avec plus de 300 décès liés au choléra, sur les 600 personnes décédées suite aux inondations à travers le pays la même année.
Ocha a rapporté 70 décès l’année dernière et près de 500 blessés dans le seul État de l’Adamaoua à cause des inondations. Cette année, NiMet, l’agence météorologique nigériane, a averti que 13 États, situés majoritairement dans le centre et le nord du pays, pourraient connaitre des pluies à la fois "plus fréquentes et plus fortes".
Bassins communs entre le Cameroun, le Nigeria, le Niger et le Tchad
En mars dernier, le Centre Régional AGRHYMET, une institution spécialisée du Comité Permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel qui regroupe 13 pays dans la région, avait prévenu qu’on assisterait à « des cumuls pluviométriques supérieurs aux moyennes à équivalents sont attendus sur les périodes Juin-Juillet-Août et Juillet-Août-Septembre 2024, dans les bandes agricoles du Tchad, du Niger, du Mali, de la Mauritanie, sur le Sénégal, la Gambie, le Burkina Faso, la Guinée Bissau et les parties Nord de la Guinée, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Togo, du Bénin, du Nigéria et du Cameroun »
A titre d’illustration, cette année, en à peine quelques semaines de pluies, les Nations Unies estiment que le Tchad est déjà le pays le plus affecté dans la région, avec quelques 964000 personnes déjà touchées par les crues.
Dans la nuit du 14 au 15 aout, près de 70 personnes ont laissé la vie dans les eaux, après avoir été surprises dans leur sommeil par une inondation, dans la très aride région du Tibesti, dans l’extrême nord du pays.
Le Tchad est suivi de près par le Nigeria, qui en quelques jours a atteint plus de 227 000 personnes touchées, selon le pointage de L'Agence nationale de gestion des urgences fait le 15 aout. Un chiffre qui dépasse les 171 000 de l’année dernière.
La région se trouve au confluent de plusieurs grands bassins, celui du Lac Tchad, celui du Chari et celui du fleuve Niger, qui, par un réseau d’affluents, partent de la Guinée, et traversent plusieurs pays et s’interchangent des eaux, faisant déborder par endroit les eaux de leurs lits, et affectant gravement les populations.
En 2022, la virulence des inondations au Nigeria a été en partie due aux lâchées d’eau du barrage de Lagdo dans le nord du Cameroun, construit sur le fleuve Bénoué, lui-même affluent du fleuve Niger.
Ce fleuve n’aurait pas pu tenir face aux eaux des rivières qui se versent sur son lit, les autorités ont dû ouvrir les vannes du barrage de Lagdo, construit sur la Bénoué.
Les eaux qui se sont échappées ont contribué à alourdir le bilan des décès (612) selon Amnesty International, et plus d’1,4 millions de personnes déplacées et inondé 569 000 hectares de terres cultivables selon la même organisation.
Au Cameroun voisin, et dans la même période, les deux départements frontaliers du Tchad, arrosés par le Logone et le Chari, deux fleuves qui arrosent également le Tchad, ont connu des débordements, impactant 10 mille personnes, 19 écoles, 3 centres de santé et ravageant plusieurs hectares de cultures, selon Ocha.
Dans la capitale politique du pays, Yaoundé, plusieurs inondations ont été enregistrées, touchant y compris le centre des affaires de la ville. La plus importante a fait 30 morts dans un glissem*nt de terrain dans le quartier Mbankolo, emportant au passage des dizaines d’habitations.
La capitale économique, elle, connait des débordements d’eau qui impactent la mobilité des populations. Le bulletin météorologique officiel prévoyait en avril dernier, "une destruction des habitations et des édifices publics dans de nombreuses localités suite aux fortes pluies, à des inondations dans les régions du littoral (Douala, Edea, etc.), une dégradation et une destruction des plantations à cause de l’eau".
Plus d’eau en peu de temps
L’abondance des pluies ces dernières années provoque de l’inquiétude à la fois chez les populations qui perdent leurs moyens de survie, chez les experts et les organisations humanitaires qui s’inquiètent de l’avancée de la famine et de la résurgence des maladies hydriques.
Pour comprendre pourquoi les eaux semblent plus en furie ces dernières années, nous nous sommes rapprochés de Moussa Malam Abdou. Géographe, il enseigne l’hydrologie à l’Université André Salifou de Zinder au Niger.
Pour lui, il faut scruter trois causes. Les premières étant liées d'abord à la pluie. Les deuxièmes causes sont liées aux caractéristiques géologiques et pédologiques même des contextes géologiques et les troisièmes sont liées aux facteurs anthropiques.
Le Sahel a connu trois phases climatiques, dont une pluvieuse dans les années allant des années 1950 aux années 1970, puis une saison extrêmement sèche qui est allée jusque dans les années 1990, avant un retour des pluies dans la région.
Selon l’enseignant, il n’y a pas de différence significative dans les quantités de pluies reçues, mais plutôt sur la durée des précipitations, dont les fréquences s’amenuisent, alors que les quantités se densifient.
À titre illustratif, "dans les années 50-60, par exemple, pour des régions comme Niamey et Zinder, il pleuvait 500 millimètres. Mais on les enregistrait en 40-50 événements. Aujourd’hui, ce sont à peu près les mêmes 500 millimètres, mais qui sont enregistrés en 25 événements’’ explique l’hydrologue.
Sol peu absorbant et installations anarchiques
L’une des conséquences des précipitations abondantes en un temps réduit, c’est la réduction de l’absorption des sols, très engorgés par les eaux.
Malam Abdou a expliqué à la BBC que par exemple, "le fleuve Niger est en grande partie surformations cristallines qui sont intrinsèquement peu ou pas perméables. De ce fait, les apports de ruissellement s’accumulent pour engendrer des inondations’’
Au Sahel, explique le géographe, "les sols sableux produisent beaucoup de ruissellement du fait de leur encroûtement superficiel. Et, c’est cet encroûtement qui réduit la capacité d’infiltration de l’eau dans les sols".
En plus, sur son tracé, le fleuve Niger traverse des régions ayant des socles imperméables.
"Quand vous prenez par exemple une partie du Niger, une partie du Burkina, une partie du Mali, une partie du Bénin, du Nigeria, elles sont toutes constituées par ces mêmes formations cristallines imperméables. Et si on combine cela avec l’intensité des pluies, il est normal qu’il y ait des inondations" déclare M. Malam Abdou
Pour lui, il ne faut pas oublier l’action de l’homme, dans ces inondations de plus en plus meurtrières. Il explique que cela s’est amplifié avec le fait que les États ont donné la possibilité aux municipalités de faire des lotissem*nts pour l’installation des populations.
« Et malheureusem*nt, dans bien des cas, je dis bien, dans bien des cas, les maires ne respectent pas les conditions de construction ou de lotissem*nt, ils se permettent de lotir même des zones qui sont à risque parce que le lotissem*nt est devenu le premier facteur de recettes. Et si on se met sur le chemin de l'eau, évidemment lorsqu’elle vient, elle va régulièrement inonder et c'est bien normal ». estime-t-il.
Pour réduire les inondations, l’expert préconise d’agir sur les causes du phénomène. Il s’agit notamment :
- D’atténuer l’émission des gaz à effet de serre
Car, explique-t-il, le changement de régime est interprété comme un indicateur de changement climatique. Cela, selon lui, contribuera à réduire l’intensité des pluies, et l’action est à long terme.
- Construire les infrastructures
Pour lui, "il faut tout faire pour accroitre la rétention et l’infiltration des eaux à l’échelle des bassins et des aménagements intégrés, notamment des ouvrages d’écrêtement, comme les barrages de seuil et de retenu". Cela passe aussi par la restauration des sols, précise-t-il.
- Régler le facteur humain
Le géographe indique qu’il faut éviter l’occupation des zones inondables et respecter les normes urbanistiques. Il faut aussi actualiser et respecter également les normes hydrologiques de dimensionnement des ouvrages hydrauliques.